Enquête : les bénévoles du Clunisois à la loupe

Cet hiver, clunisois.fr (en partenariat avec les chercheurs du programme national Territoire d’engagement) a lancé une grande enquête pour en savoir davantage sur la question de « l’engagement » dans le monde associatif clunisois. Après avoir analysé des dizaines de questionnaires et passé de longues heures à mouliner toutes ces données, on vous révèle enfin le visage du bénévole clunisois !

« Nos vies sont bien trop remplies pour pouvoir tout faire ! »

Elle s’appelle Marie (ou Martine, Françoise, Catherine ou Chantal…). C’est une jeune retraitée de la fonction publique où elle a pu être agent administratif, aide-soignante ou institutrice. Arrivée à Cluny dans sa jeunesse, il y a 4 chances sur 10 pour qu’elle soit élue au conseil municipal, ou qu’elle milite dans une organisation de type syndicat ou ONG. Très active, elle s’occupe de l’amicale des conscrits, participe à l’organisation d’un festival d’été et passe l’hiver entre un atelier d’art créatif et des cours de gym.

Au club de gym justement, elle retrouve Sandrine (ou Stéphanie, Nathalie, Isabelle, Céline…), responsable budgétaire dans une PME familiale (à moins qu’elle ne soit commerçante ou en libéral). Cette dynamique quadragénaire commence à prendre de plus en plus de responsabilités auprès de diverses associations, à Cluny et dans son village. Elle est à la commission sponsors du club de gym, mais aussi au bureau du sou des écoles ou de la cantine du RPI.

Enfin, il y a Jean (ou Alain, Michel, Patrick, ou Philippe…), qui approche les 70 ans après avoir fait carrière dans l’industrie, ou peut-être comme représentant de commerce ou artisan. Dans 60 % des cas, il est également élu local, militant ou syndicaliste. Son truc à lui, c’est la sauvegarde du patrimoine, mais aussi le rugby, passion qu’il partage avec le groupe d’ados qu’il encadre le mercredi après-midi au stade. De temps en temps, il donne aussi un coup de main à l’amicale de son village, pour le don du sang ou la brocante.

Vous vous êtes reconnu (ou avez reconnu un de vos proches) dans ces portraits ? C’est peut-être parce que vous avez participé à notre grande enquête sur l’engagement bénévole en Clunisois, diffusée cet hiver sur le site Place des associations.
Près de 200 réponses (197 exactement) ont été collectées (pour 700 associations en Clunisois), dont 143 concernaient directement des dirigeants bénévoles (président, trésorier, secrétaire ou membre actif) pour qui l’engagement associatif dépasse la simple participation à une activité.

Grâce à vos réponses, et avec toute la nuance qu’il faut apporter à une enquête en ligne qui n’a pas de valeur scientifique, il est possible de dresser le profil-type du dirigeant bénévole clunisois.
Dans 57 % des cas, il s’agit donc d’une femme, de 66 ans et plus (38 %), retraitée du secteur public (22 %) ; ou entre 41 et 65 ans (46 %) travaillant comme cadre ou profession intermédiaire (27 %). Mais cela peut aussi être un homme (à 43 %), généralement de plus de 66 ans (48 %) et retraité du secteur privé (38 %).

Globalement, les répondants à notre enquête sont à 48 % issus de Cluny, et à 48 % des autres communes du Clunisois (4 % hors Clunisois). Une répartition logique et cohérente avec la distribution des associations sur le territoire, presque équitablement partagées entre Cluny (44 %) et les autres communes.

Même si ce n’est pas flagrant, les dirigeants bénévoles sont des habitants un peu plus installés sur le territoire que les simples adhérents : 76 % des dirigeants habitent en Clunisois depuis plus de 10 ans (contre 72 % pour les adhérents non dirigeants), et surtout ils ne sont que 4 % à habiter le Clunisois depuis moins de 3 ans (contre 13 % des adhérents). Le constat paraît logique : lorsque l’on arrive sur un nouveau territoire, on commence d’abord par s’impliquer dans la vie locale en pratiquant une activité au sein d’une ou plusieurs associations, et ce n’est qu’après cette période « d’intégration » que l’on passe le cap du mandat bénévole.

Autre constat logique, 76 % des dirigeants bénévoles ont déjà été membres d’une autre association, contre seulement 56 % des adhérents. Plus l’on fréquente le milieu associatif, plus on s’y engage ! 
Pour confirmer cette importance de la temporalité, on constate que 80 % des dirigeants bénévoles font partie de leur association depuis plus de 3 ans, alors que ce n’est le cas que de 59 % des adhérents. A contrario, ceux-ci sont 23 % à être entrés dans leur association actuelle depuis un an ou moins, contre seulement 12 % des dirigeants.

Pourquoi s’engager ?

Chez les dirigeants bénévoles, la raison première de l’engagement associatif est la volonté de s’impliquer dans la vie locale (36 %), ou de défendre une cause qui leur tient à cœur (31 %). Pour les adhérents, sans surprise, il s’agit avant tout de pratiquer une activité (49 %, contre 25 % pour les dirigeants). 

Surtout, on constate que « l’engagement » est une valeur à part entière, presque constitutive des personnes qui donnent de leur temps pour la communauté.
En effet, 58 % des dirigeants bénévoles interrogés sont, par ailleurs, engagés à titre politique, syndical ou militant en plus de leur activité associative (à 21 % élus locaux, et 18 % membres d’un réseau militant).

Ce double engagement associatif et social peut aussi se cumuler au sein de chaque catégorie : 49 % des dirigeants sont investis dans au moins trois associations différentes, et 17 % cumulent deux ou trois mandats sociaux (élu local et membre d’un parti, par exemple, ou militant et membre d’un syndicat), soit jusqu’à cinq voire six activités non professionnelles occupées simultanément !

Cette boulimie d’engagements ne se retrouve pas chez les simples adhérents, majoritaires à ne participer qu’à une seule association (46 %) et peu mobilisés socialement (70 % déclarent n’avoir aucun engagement politique, syndical ou militant).

Invité le 12 octobre 2021 par le Centre de conférences internationales de Cluny à s’exprimer sur la question de l’engagement, le sociologue et ancien directeur de recherches au CNRS Jacques Ion soulignait la déconnexion progressive entre les mondes associatif et politique : auparavant, explique-t-il, les associations étaient insérées dans de grands réseaux idéo-politiques (communistes, protestants, catholiques…). On était d’abord bénévole, puis syndiqué, puis colleur d’affiche pour les élections… et finalement conseiller municipal, ou même ministre ! Pour le chercheur, cet « engagement affilié » (ou « engagement timbre », collé sur la carte de membre du militant dévoué toute sa vie à la cause) laisse place à un « engagement affranchi » ou « post-it », beaucoup plus pragmatique : agir aujourd’hui là où c’est nécessaire… et peut-être demain ailleurs.

Un peu, beaucoup, passionnément…

Les commentaires libres laissés en fin de questionnaire par environ un tiers des répondants traduisent ce « besoin d’être utile » avec des mots forts et lourds de sens, dont voici quelques extraits.

Il faut que chacun fasse sa part si nous voulons changer la société.
Être bénévole, c’est une nourriture pour l’âme.
C’est un mode de vie, un héritage familial.
La loi sur la création des associations est une chance unique pour inventer des moments de vivre ensemble et animer nos territoires.
Être bénévole, c’est apprendre l’humilité et le don de soi.
C’est dans les gênes.
Mon engagement serait certainement plus important si les journées faisaient 48h !
Le militantisme associatif est une chose merveilleuse !

Pour autant, les dirigeants bénévoles ne sont pas béats devant le mouvement associatif. Beaucoup soulignent une « crise du bénévolat inquiétante [qui] oblige les bénévoles actuels à durer au-delà de leur souhait« . Un autre dit même vouloir arrêter face au « peu d’implication des autres bénévoles« . Car avec 48 % de retraités parmi les dirigeants bénévoles (alors qu’ils représentent « seulement » 40 % de la population de la communauté de communes), « le fait est qu’on retrouve toujours les mêmes têtes : celles qui ont du temps !« .

Ces inquiétudes se traduisent dans les réponses à l’enquête : 56 % des dirigeants interrogés trouvent que l’on s’engage moins qu’avant. Signe que ce constat est loin d’être partagé, ce chiffre tombe à 38 % chez les adhérents, qui sont majoritaires à trouver que l’on s’engage « ni plus ni moins qu’avant » (44 %). Ils sont même 18 % à trouver que l’on s’engage plus qu’avant (alors qu’ils ne sont que 6 % des dirigeants à avoir cette opinion).

Mais le bénévole étant par nature « de bonne volonté » (c’est sa définition étymologique), les répondants ont aussi des solutions à apporter. Ils relèvent que « les associations sont indispensables à la vie économique et sociale » et que leur action est une réponse à « ce que les municipalités ne font pas« . 

À ce titre, ils réclament la « reconnaissance » et la « mise en valeur » du bénévolat, ou bien la création d’un « statut du bénévole ». Ils soulignent le besoin de « professionnaliser » le fonctionnement associatif et de « trouver des formes d’engagement qui conviennent aux plus jeunes [dont] l’engagement bénévole évolue »

Car où sont les « jeunes » ? Les moins de 26 ans ne sont que 1 % parmi les dirigeants ayant répondu à notre enquête en ligne. Un chiffre très certainement sous-évalué (il suffit de regarder le nombre d’associations ayant leur siège à l’ENSAM – spoiler : au moins 50, soit 11 % des 439 associations déclarées à Cluny) mais qui traduit néanmoins une réalité : les formes traditionnelles d’engagement laissent place, dans la jeunesse, à un engagement plus protéiforme, au service d’une cause ou d’un mouvement sans structuration traditionnelle.

Pour le sociologue Jacques Ion (encore lui), les raisons sont à chercher dans un changement des motivations de l’engagement associatif : hier, on s’engageait pour que demain soit meilleur qu’aujourd’hui ; aujourd’hui, on s’engage pour que demain ne soit pas pire. De fait, les modalités d’engagement évoluent avec les motivations : si de plus en plus de jeunes (chiffres à l’appui) sont insérés dans la vie associative, syndicale et politique, ils le sont aussi et surtout hors cadre « loi 1901 », au sein de collectifs parfois très spontanés, ou au contraire très organisés. Il cite l’exemple des grandes écoles, justement, où l’engagement est prôné comme une vertu pour l’élève-futur professionnel.

Une tentative de dénombrement des bénévoles en Clunisois

Si cette enquête inédite permet d’approcher le profil-type du bénévole clunisois, elle n’en donne cependant pas le nombre exact sur le territoire. Il est par ailleurs impossible de se référer à des chiffres officiels en la matière, pour la bonne raison… qu’ils n’existent pas.
Depuis 1901 en France, le bénévolat (et c’est heureux !) n’est en effet soumis à aucune obligation déclarative. C’est l’un des grands acquis de la loi de Pierre Waldeck-Rousseau que de permettre à quiconque de participer librement (et anonymement) aux activités d’une association, ce qui fût loin d’être le cas auparavant. Aujourd’hui, le sondage est donc la seule solution pour évaluer le nombre de bénévoles sur un territoire. 

La dernière enquête nationale de l’IFOP sur le bénévolat (datée de janvier 2019) révèle que :
• 24 % des Français sont bénévoles dans une ou plusieurs associations ;
• parmi eux, 43 % ont une activité bénévole régulière (au moins une fois par semaine).

Source : Recherches & Solidarités / Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (INJEP) – 2021.

Il y aurait donc en France 12,5 millions de bénévoles, dont 5,5 millions de bénévoles réguliers. Ramené au niveau local, cela donnerait environ 2775 bénévoles en Clunisois (dont 800 à Cluny), pour 1200 bénévoles actifs au moins une fois par semaine.

Ces chiffres semblent cohérents, voire dans la fourchette basse, si on les compare aux 1,5 millions d’associations en activité en France : ces 12,5 millions de bénévoles représenteraient ainsi 8,3 bénévoles par association (dont 3,6 bénévoles réguliers). En faisant le calcul pour les 713 associations actives en Clunisois au 31 décembre 2021, on arrive au chiffre de 5900 bénévoles, dont 2600 bénévoles réguliers, soit plus du double ! Pour les 293 associations en activité à Cluny, ces chiffres seraient d’environ 2400 bénévoles, dont un millier de réguliers.

Pour confirmer cette volumétrie, on peut estimer qu’une association est composée d’au moins trois dirigeants mobilisés régulièrement (un président, un secrétaire et un trésorier). Sur cette base, les associations du Clunisois compteraient donc au minimum 2136 bénévoles réguliers, ce qui, s’ils représentent 43 % du nombre total de bénévoles d’un territoire selon l’IFOP, ferait environ 5000 bénévoles dans les villes et villages du Clunisois. Soit entre un quart et un tiers de la population.

Le tableau ci-dessous résume ces différentes estimations, sur la base de la population de 18 ans et plus (chiffres INSEE 2018).

Note : sur le chiffre des associations « actives », voir la note méthodologique de Place des associations.

Une autre piste est d’observer le mouvement sportif, le seul qui soit rigoureusement documenté chaque année grâce aux chiffres des licences engagées dans les clubs affiliés à une fédération nationale. Les chiffres parlent d’eux-même : les 44 clubs sportifs du Clunisois (sur plus de 700 associations, on le rappelle) accueillent à eux seuls près de 3000 adhérents !

On rétorquera que la plupart de ces adhérents sont de simples « pratiquants » qui « consomment » une activité sportive, et non des bénévoles qui participent activement au fonctionnement associatif. Et c’est justement cet effet ciseaux (provoqué par l’augmentation de l’âge moyen des dirigeants bénévoles d’une part, et la diminution du nombre de volontaires prêts à s’engager dans la conduite des affaires associatives d’autre part) qui sera probablement le plus grand défi que le mouvement associatif aura à relever ces prochaines années. 

Cette crise du bénévolat (et non de l’engagement) peut même être qualifiée de question de survie pour certaines associations, que les fédérations et instances nationales poussent chaque année un peu plus à la professionnalisation. De plus, la monétarisation des activités associatives, tendant à transformer les « adhérents » en « clients » qui rémunèrent la prestation d’un animateur salarié, méconnaît tout l’impact social et les spécificités du mouvement bénévole, à la fois ni service public, ni service marchand.

Et maintenant…

En cette période pré-électorale, il est intéressant de regarder quelles solutions peuvent être proposées face à ce constat largement partagé, des chercheurs aux bénévoles eux-mêmes. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que les députés ne sont pas restés inactifs sur le sujet ces 25 dernières années : depuis 1997, on a retrouvé sur le site de l’Assemblée nationale pas moins de 28 propositions de loi visant à « reconnaître », « favoriser », « valoriser », « indemniser », ou « former » les bénévoles (soit plus d’une par an). Qu’il s’agisse d’accorder des trimestres de retraite, des avantages fiscaux, des congés exceptionnels ou des médailles, les idées sont légion ! Reste à savoir si ces propositions séduiront une jeunesse en quête d’engagement pour « le monde d’après »…


Pour aller plus loin :

1 commentaire pour “Enquête : les bénévoles du Clunisois à la loupe”

  1. BRAVO POUR CE BEAU BOULOT ! Autre donnée à prendre en compte, les bénévoles le sont souvent dans plusieurs associations…

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