(Presque) 120 ans de mouvement associatif en Clunisois

Des chasseurs aux sportifs, en passant par les sociétés musicales et les syndicats, les archives du Journal officiel permettent de retracer la vie associative à Cluny au début du siècle dernier, tout juste 120 ans après la promulgation de la loi fondatrice du 1er juillet 1901.

C’est peu dire que la célébration des 120 ans de la loi du 1er juillet 1901 consacrant la liberté d’association n’a pas mobilisé les foules : quelques articles sur des sites internet spécialisés, une tribune de la secrétaire d’État à la jeunesse (surtout destinée à promouvoir le projet de loi contre le séparatisme – gloups), un discours du Premier ministre resté confidentiel… et c’est à peu près tout.

Dommage, car même si le mouvement bénévole a subi, comme beaucoup d’autres, un sérieux coup d’arrêt à ses activités en 2020, il a aussi été un formidable amortisseur à la crise et au repli sur soi, en particulier lors du premier confinement qui a sidéré le monde. En Clunisois, territoire atypique, la vitalité associative s’est même renforcée au cours de l’année 2020, soulignant à quel point le besoin de donner du temps aux autres est une caractéristique forte de notre petit territoire.

De la tutelle d’État à la liberté d’association

Sans refaire un historique qui serait long et pompeux, on doit la « loi 1901 » (dont on parle souvent sans vraiment la connaître) à Pierre Waldeck-Rousseau, premier ministre de la IIIe République, également à l’origine de la légalisation des syndicats en 1884. Républicain modéré, il a mené une politique sociale que l’on qualifierait aujourd’hui de « en même temps », imposant à Schneider la négociation avec les ouvriers lors de la grève générale du Creusot en 1899, tout en envoyant la troupe réprimer celles de Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines en 1900-1901. Mais c’est surtout sa loi du 1er juillet 1901 qui est restée dans les mémoires, consacrant la liberté de toute personne à créer une association sans autorisation préalable. Une révolution.

Comme le rappelle l’excellent blog Cluny histoires d’Histoire, avant la loi de 1901, toute association devait, avant même d’exister, faire l’objet d’une déclaration soigneusement contrôlée par la préfecture, qui vérifiait l’état d’esprit et la couleur politique des demandeurs. Les étrangers, les femmes et les mineurs n’étaient pas admis dans ces « sociétés », dont la liste des membres était déposée chaque année auprès des autorités. On poussait le contrôle jusqu’à y interdire les jeux de hasard, et de parler politique ou religion. 

Pour la petite histoire, bien que ces interdictions soient tombées avec la loi de 1901, les statuts de l’Association sportive clunisoise (ancêtre de l’US Cluny) comportent encore ces prohibitions dans leur article 23, en y ajoutant celle des “chants inconvenants” ! 

Statuts de l’AS Cluny – février 1927.

Mais revenons à Cluny et au Clunisois, justement. 

Les chasseurs, à jamais les premiers

À Cluny comme dans les villages, la chasse est souvent la première activité à se constituer en association : on retrouve la trace d’une société de chasse à Bergesserin dès 1909 (disparue aujourd’hui). À Cluny, Le Ragot est toujours la plus vieille association encore en activité, depuis le 31 janvier 1919.

Souvent, la chasse détient ainsi la palme de la longévité dans les villages, avec des associations presque centenaires à Salornay-sur-Guye et Buffières (1923), Sivignon (1925), La Guiche (1927), Mazille et Château (1930), Cortambert, Flagy, Jalogny, Joncy et Saint-Martin-la-Patrouille (1932), Sigy-le-Châtel, Saint-André-le-Désert, Bonnay, Cortevaix (1933), Chiddes (1934), Bergesserin (1935, pour l’association actuelle), Sainte-Cécile (1936), Saint-Clément-sur-Guye et Saint-Vincent-des-Prés (1938), Donzy-le-Pertuis (1941), Curtil-sous-Buffières et Saint-Martin-de-Salencey (1942)… 

Considéré comme un sport dans la classification officielle, la chasse est toujours largement majoritaire aujourd’hui, représentant un quart des associations sportives du Clunisois, devant les sports mécaniques et l’équitation.

Sur la seconde marche du podium, c’est une autre association sportive qui marque l’histoire : créée le 22 mars 1920, l’Association sportive du lycée La Prat’s aurait dû fêter son centenaire l’année dernière ! Enfin, la société de pêche La Gaule clunisoise complète le tableau des médailles de la longévité, avec une création le 8 janvier 1923.

Pêche en bord de Grosne à Cluny – date inconnue.

Créé le 28 juin 1911, le Syndicat d’initiative et de défense des intérêts de Cluny et de la région (devenu plus tard « Office de tourisme de Cluny et du Clunisois ») aurait bien pu monter sur la 2e marche du podium des plus anciennes associations de Cluny… si sa dissolution le 8 avril 2013 ne l’avait pas transformé en établissement public industriel et commercial.

Hormis ce podium, seules deux autres associations nées avant guerre sont encore actives dans la cité abbatiale : l’Union commerciale, industrielle et artisanale de Cluny (UCIA, devenue Cluny commerces) créée le 4 juillet 1930 et l’Union athlétique intergadz’arts (UAI) de Cluny, le 10 juin 1931.

Enfin, signalons la longévité de la Société des membres honoraires des sapeurs-pompiers de La Vineuse, créée le 20 janvier 1909, et toujours officiellement en activité (bien qu’elle semble en sommeil depuis une dizaine d’années).

Sapeurs-pompiers de Cluny – date inconnue.

Sociétés disparues

Les associations créées dans la première partie du 20e siècle donnent une bonne idée de ce que devait être la vie à Cluny avant-guerre, avec une forte activité sportive et de nombreuses amicales en lien avec les différentes écoles de la cité. On y retrouve aussi une forte distinction entre les associations catholiques et laïques, parfois pour les mêmes activités (on y reviendra).

La toute première association « loi 1901 » de Cluny est ainsi une société sportive : La Société mixte de tir (dont l’objet est contenu dans le titre). Le Journal officiel de la République française conserve trace de sa création le 12 avril 1904 (mais sa date de sa dissolution n’a pas été retrouvée). Seules 41 autres associations suivront jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale. De 1901 à 1939, on trouve ainsi à Cluny : 

  • 16 sociétés sportives + 2 associations de chasse et pêche
  • 13 amicales, dont 8 directement liées à des activités éducatives
  • 6 associations culturelles
  • et 4 autres associations (dont une société scientifique, le Groupement d’études mycologiques de Cluny, né en juin 1934). 

Aux armes, sportifs !

On fait donc beaucoup de sport au début du 20e siècle à Cluny, suivant un mouvement de démocratisation de l’éducation physique qui s’est accéléré au sortir de la Première Guerre mondiale. L’hygiénisme qui avait marqué le développement de la gymnastique à la fin du 19e siècle cède en effet la place à la préparation militaire, en réaction au conflit qui a décimé la jeunesse française et par « contagion » des alliés américains et anglais chez qui la pratique sportive est déjà bien développée. En 1920, sous l’impulsion de Gaston Vidal, le sport devient même « une affaire d’État » par la création d’une direction de l’éducation physique et sportive au sein du ministère de l’enseignement.

Cluny n’échappe pas à cette démocratisation du sport, tout d’abord dans ses écoles : la Société scolaire de tir et de préparation militaire de l’École nationale d’Arts et Métiers de Cluny voit le jour en mai 1919, suivie de celles de l’École pratique sportive clunysoise (future association sportive du lycée La Prat’s, dont on a parlé plus haut) en mars 1920 et de l’Union athlétique intergadz’arts de Cluny en 1931, toujours bien actives. 

Gadz’arts pratiquant le saut en hauteur dans la cour de l’école des Arts & Métiers de Cluny – date inconnue.

En ville, le Sporting club clunysois se donne pour objectif, dès 1922, de « développer chez ses adhérents le goût et la pratique des sports, pour acquérir la vigueur et la santé et faire de bons et loyaux soldats et citoyens ». Rien que cela ! Plus modestement, l’Association sportive clunysoise (future Union sportive clunisoise, toujours active) se constitue en 1927 pour pratiquer l’athlétisme et le football (elle sera rejointe sur ces mêmes disciplines en 1931 par la Jeunesse sportive clunysoise, ce qui donnera l’occasion de beaux derbys racontés par la presse d’époque). 

La société de gymnastique La Clunysoise voit le jour en 1938 et n’a jamais cessé ses activités depuis. C’est également cette même année que se créée une Association sportive du travail de Cluny, pratiquant essentiellement le basket-ball et l’athlétisme.

Les sports mécaniques ne sont pas oubliés, avec la création du premier Moto-club clunysois en 1929, qui encourage « tourisme et sport motocycliste » à travers des sorties collectives, puis du Moto-vélo-club clunysois en 1936, à l’objet sensiblement identique (les cyclistes en plus).

Groupe de l’Union vélocipédique de France sur la place du commerce à Cluny – date inconnue.

L’équitation se structure en associations à partir de 1935 avec la création de L’Avenir hippique clunysois, qui se donne comme mission « d’accroître les ressources du pays en chevaux d’âge aptes au service de la selle et développer le goût de l’équitation et l’emploi du cheval dans toutes ses aptitudes ». Le rayonnement du Haras se fait également sentir avec la naissance, en 1938, de la Fédération des sociétés hippiques rurales de la circonscription du dépôt d’étalons de Cluny qui regroupe les sociétés hippiques rurales des départements de Saône-et-Loire, Allier, Rhône, Nièvre et Loire.

Tribune des courses hippiques à Cluny – date inconnue.

Animaux toujours, mais dans les airs. En 1937 et 1938 deux sociétés se font face : tout d’abord la Société de tir au pigeon, qui manie le fusil de chasse et la carabine ; et de l’autre l’association La Colombe, qui a pour but la protection et l’entraînement des pigeons voyageurs. L’histoire ne dit pas laquelle avait le plus d’adhérents.

Musique à Cluny

Sport et musique s’allient au sein de l’association Réveil et Concorde réunis en 1931. Cette histoire, et celles des autres sociétés musicales de Cluny de cette époque, ont fait l’objet d’une belle série d’articles illustrés par le blog Cluny histoires d’Histoire sous le titre “Cluny en Harmonie”

Les sociétés musicales étaient en effet nombreuses à une époque où la télévision, la radio, le cinéma n’étaient pas encore des divertissements de masse. On allait donc au concert fréquemment, le soir ou le dimanche.

“Il était d’usage que chaque dimanche de quinzaine, depuis Pâques jusqu’à la fin de l’année scolaire, les portes des jardins de l’École étaient ouvertes au public Clunysois, depuis quatre heures jusqu’à six heures du soir, pendant que la musique des élèves jouait.”

Article “Cluny en Harmonie” – Cluny histoires d’Histoire

La première de ces sociétés musicales se nomme Cluny Estudiantina et a vu le jour le 20 mai 1905, quelques jours à peine avant sa consœur, la Société Chorale et d’Harmonie, le 6 juin 1905. Elles seront rejointes après la Grande Guerre par La Lyre de Cluny (1922) et Le Réveil clunysois, société de tambours et clairons (1927). Cette dernière se réunira donc en juillet 1931 avec la société de gymnastique La Concorde (association née en 1896).

Société de tambours et clairons et gymnastique « Réveil et Concorde » de Cluny – date inconnue.

Toute cette activité nécessitant une bonne organisation, Les Amis du théâtre de Cluny se constituent en association le 29 juin 1934 pour organiser concerts et représentations théâtrales au premier étage des écuries de Saint-Hugues. Les élèves de l’école des Arts fonderont, quant à eux, leur Société artistique des Gadz’Arts de Cluny en mai 1938, et même une Radio-Gadz’-Arts de Cluny, dès août 1923, pour « vulgariser la TSF » !

Représentation à Cluny de la pièce « La comédie de celui qui épousa une femme muette » (Anatole France) – 20 décembre 1931.

Tous unis ?

A l’école des Arts, deux syndicats, chacun défendant les intérêts de leurs membres, naissent presque simultanément sous forme d’associations « loi 1901 » en 1907 : le Syndicat des ouvriers et ouvrières de l’école d’Arts et métiers de Cluny, le 11 février, puis le Syndicat des garçons de l’économat de l’école d’Art et métiers de Cluny, le 25 avril. La première association de promotion, la Cluny 109, attendra avril 1935 pour se constituer, à l’initiative des élèves passés à l’école en 1909-12.

Mais, quelques 20 ans après la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, la religion s’invite toujours dans les écoles, grâce à la liberté d’association. L’exemple le plus frappant de cette controverse se déroule en juillet 1931 : le 1er du mois, un groupe de Gadz’arts fonde l’Amicale Sainte-Jeanne-d’Arc, un cercle réservé aux élèves catholiques. En réaction, un autre groupe se constitue dès le 22, en Cercle laïque des Gadz’-Arts, « sur la base de la camaraderie ».

Corvée d’épluchage de pommes de terre à l’école nationale des Arts-et-Métiers de Cluny – date inconnue.

Dans l’enseignement primaire, les familles aussi se divisent sur le plan confessionnel : en 1911, une Association des chefs de familles catholiques du canton de Cluny se constitue pour « assurer la neutralité à l’école, la protection, l’éducation de la jeunesse, la juste répartition des subventions scolaires » (sic) ; tandis qu’un Cercle clunysois de la Ligue de l’enseignement naît en 1938 à des fins de « propagation de l’instruction laïque et de l’éducation populaire ».

On retrouve une autre scission chez les anciens combattants : l’Association des mutilés et réformés du canton de Cluny fondée en août 1918 fait face, à partir de 1923, à l’Association fraternelle des mutilés du canton de Cluny.

Les gradés, eux, se constituent en Amicale des sous-officiers et gradés de réserve de la région de Cluny en janvier 1933, avec pour objectif de « maintenir entre les membres les liens de camaraderie qui doivent les unir pour la défense nationale ».

Débarquement d’un convoi de blessés en gare de Cluny – 1ère Guerre mondiale

Notons enfin, pour conclure le chapitre des amicales, la création de l’Union générale des fonctionnaires et des agents des services publics de Cluny et de la région en juillet 1936, en plein Front populaire, tout un symbole.

Des bénévoles au cœur du territoire

Tout juste 120 ans après la promulgation de la loi du 1er juillet 1901, Cluny compte plus de 400 associations officiellement déclarées, et le Clunisois a dépassé la barre des 900 en juillet 2021. En ne prenant en considération que les associations réellement actives (c’est-à-dire celles qui déclarent régulièrement des changements de bureau en préfecture), les chiffres atteignent près de 300 à Cluny et 700 dans la communauté de communes. Soit le nombre impressionnant de cinq associations actives pour 100 habitants en Clunisois (six pour 100 habitants à Cluny), là où la moyenne nationale est à peine de deux associations pour 100 français.

En ce début du 21e siècle en Clunisois, les associations sportives sont toujours majoritaires (24 % en intégrant la chasse et la pêche, 17 % sans ces deux sports), devant la culture (17 %), les amicales (12 %) et les associations d’action sanitaire et sociale (10 %).

Concours de musique à Cluny – août 1925

La dynamique associative reste soutenue dans notre territoire, avec 22 nouvelles associations créées en moyenne chaque année depuis l’an 2000, et un record à 43 créations en 2018. Même la terrible année 2020 n’a pas freiné cet élan, avec 31 nouvelles associations créées en Clunisois, là où le pays enregistrait une forte chute de 37 %.

Le mouvement associatif est une donc une caractéristique forte du territoire Clunisois, qui implique a minima 25 % de la population adulte (à raison d’au moins trois bénévoles pour 700 associations, au regard des 8 100 actifs sur 13 400 habitants en 2018), jusque dans les plus petits villages. À Chevagny-sur-Guye par exemple, les 76 habitants animent à eux seuls 11 associations différentes, tout comme à Chiddes avec ses 8 associations pour 89 habitants, ou Blanot avec 14 associations actives pour 153 habitants.

En ces temps de repli sur soi et de crispations, et même si tout n’est pas rose (loin s’en faut), ces petites ou plus grandes initiatives bénévoles qui animent le quotidien sont autant de bonnes raisons pour fêter les 120 ans de la loi du 1er juillet 1901 !


Photo de une : fête musicale à Cluny – date inconnue.