1793 : un Clunisois contre l’esclavage

Quel le point commun entre le château de Sirot à Flagy et la libération des esclaves de Saint-Domingue, à l’autre bout de l’Atlantique ? Un homme : Étienne Maynaud de Bizefranc de Lavaux, propriétaire du château et figure de l’abolitionnisme.

En ce lundi 10 mai 2021, journée nationale des mémoires et de réflexion sur la traite, l’esclavage et leurs abolitions, penchons-nous sur le destin d’Étienne Maynaud de Bizefranc de Lavaux, né à Digoin en 1751, et qui terminera sa vie en Clunisois. Ce militaire est capitaine de dragons du Roy sous Louis XVI quand la Révolution française éclate. Conquis par ces nouvelles idées, il s’engage dans l’armée de la République. 

La France est alors à la tête d’un empire colonial qui comprend notamment la “Nouvelle-France” (du Canada à la Louisiane), les Antilles, la Guyane, mais aussi la Réunion, et des comptoirs en Inde et en Afrique. Parmi ces possessions se trouve la colonie de Saint-Domingue (future Haïti), à son tour en pleine révolte révolutionnaire. 

Carte de l’île de Saint-Domingue et débouquements circonvoisins, par M. Frézier, ingénieur du Roi, directeur des fortifications de Saint-Domingue (1774). Bibliothèque nationale de France – galica.bnf.fr

Pour comprendre la situation sur place, il faut se rappeler que Saint-Domingue est un ancien repère de flibustiers, qui ont fait de l’île un commerce très juteux grâce à la culture esclavagiste de la canne à sucre et du café. En France, le port de La Rochelle est la plaque tournante du calamiteux “commerce triangulaire” avec l’île. Saint-Domingue a, en outre, une particularité unique : à la veille de la Révolution, on y dénombre 28 000 colons blancs, 406 000 esclaves noirs (soumis au Code noir) mais aussi 30 000 mulâtres et affranchis. Bien que qualifiés de “libres de couleur”, ces métis et noirs ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière, et n’ont pas les même droits que les colons.

En quelques mois, les débats de la Révolution française se répercutent dans la colonie. Et sans surprise, la traite négrière rencontre de plus en plus d’opposition. Les demi-mesures que la prend la toute jeune Assemblée nationale envers les libres de couleur ne fait qu’attiser les braises : dans la nuit du 22 au 23 août 1791, le soulèvement des esclaves fait ses premiers morts chez les colons.

Tiré de : Saint-Domingue, ou Histoire de ses révolutions ; contenant le récit effroyable des divisions, des troubles, des ravages, des meurtres, des incendies, des dévastations et des massacres qui eurent lieu dans cette île, depuis 1789 jusqu’à la perte de la colonie (auteur inconnu, 1820). Internet Archive.

Les communications ne sont pas rapides à l’époque d’un bord à l’autre de l’océan, et Paris met du temps à se décider. Enfin, le 4 avril 1792, alors que l’île est à feu et à sang depuis des mois, l’Assemblée accorde la pleine citoyenneté à tous les libres de couleur et envoie trois commissaires civils à Saint-Domingue. En qualité de lieutenant-colonel, Étienne Maynaud de Bizefranc de Lavaux est du voyage. Ils arrivent enfin sur l’île le 18 septembre 1792. 

Face à des colons blancs dévorés de haine raciale, les commissaires comprennent rapidement qu’ils devront s’imposer par la force. Mais les 4 000 républicains fraîchement débarqués ont du mal à faire le poids contre des planteurs qui s’organisent militairement pour résister. Ils doivent alors s’allier avec les mulâtres et affranchis, et promettent la liberté à tout esclave qui se battrait pour la République. Au terme de plusieurs batailles, les révolutionnaires reprennent le contrôle de l’île et décident unilatéralement, le 29 août 1793, l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue (Paris fera de même pour toutes les colonies six mois plus tard).

Proclamation en langue créole de Léger-Félicité Sonthonax, commissaire envoyé à Saint-Domingue par la Législative, faite au Cap Français, 29 août 1793. Archives nationales de France.

Pendant la lutte, le lieutenant-colonel Lavaux se lie d’amitié avec Toussaint Louverture, un descendant d’esclaves noirs affranchis qui prend la tête de la Révolution haïtienne. Les deux hommes entretiendront une longue relation épistolaire qui a marqué l’histoire de l’abolition.

Lavaux est nommé gouverneur de Saint-Domingue entre 1793 et 1796, puis revient en France comme député de l’île au Conseil des Anciens (l’ancêtre du Sénat). Mais alors que Bonaparte prend le pouvoir en 1799, ses positions trop favorables aux noirs lui valent aux mise à la retraite d’office par le Premier consul (Bonaparte rétablira l’esclavage dans les colonies, voudra reprendre le contrôle de Saint-Domingue par la force et finira par perdre l’île en 1804 après un conflit qui fera plus de 100 000 morts, permettant à Haïti de devenir la première république noire du monde).

Bataille de Saint-Domingue, par Janvier Suchodolski (1845). Musée de l’armée polonaise.

Étienne Maynaud de Bizefranc de Lavaux, retraité de l’armée, rejoint alors sa Saône-et-Loire natale et s’installe en 1801 au château de Sirot, qu’il avait acheté juste avant son départ pour Saint-Domingue. Il est élu conseiller municipal de Flagy et accorde aux habitants des hameaux de Sirot, Villard et Cours Rougeot un droit de pacage sur ses terres et ses bois. A ceux du bourg, il concède le droit à l’eau de la source de Sirot et à une conduite pour amener cette eau à la fontaine communale. Les Flagiciens ont un élu prestigieux et généreux !

Carte postale ancienne du château de Sirot à Flagy (1917). Archives départementales de Saône-et-Loire.

Mais la vie à Sirot ne semble pas lui convenir, car il s’installe en 1811 dans le domaine tout proche de Répin, un ancien bois des moines de Cluny, en lisière de Massilly, qu’il fait défricher pour y planter de la vigne et construire une grande ferme. Entre temps, il achète le château de Cormatin en 1809, le revend rapidement à un industriel qui meurt aussitôt (en faisant s’écrouler un mur porteur lors de travaux…) sans avoir payé le château, qui revient donc à Lavaux.

Signe que le virus de la politique nationale le démange, Lavaux se fait à nouveau élire député en 1820, sous la Restauration (où il siège dans l’opposition, défendant des idées progressistes). Lorsqu’il meurt à Cormatin en 1828, le château de Sirot est déjà passé dans les mains de Louis Furtin (maire de Cluny) et de son fils Félix (maire de Flagy), qui le cèderont en 1840 à Louis-Théodore Coste, descendant les actuels propriétaires.

Une plaque rappelle sa mémoire au château de Cormatin où il vécut les dernières années avant sa mort, et sa tombe existe toujours dans le petit cimetière d’Ameugny.