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La vaccination à Cluny… dans l’histoire

L’histoire serait-elle un éternel recommencement ? Sans aller très loin dans le passé, une plongée dans la presse d’il y a un siècle apporte un drôle d’éclairage sur l’actualité, entre théories du complot, désinfection des écoles et certificats de vaccination…

Le 2 mai 1863, le Courrier de Saône-et-Loire rapporte que la variole (qu’on appelle aussi petite vérole) se répand à Londres « de manière épouvantable ». Le journaliste n’y va pas par quatre chemins : « gazettes médicales et journaux de tous genres sont unanimes sur ce point que la négligence des parents à faire vacciner leurs enfants est la seule cause de cette funeste épidémie ».
Le même jour, quelques lignes plus loin, le maire de Chalon annonce l’ouverture d’un centre de vaccination dans la salle des fêtes de l’Hôtel-de-Ville, tous les mardis et jeudis pendant deux mois. C’est l’état d’urgence sanitaire avant l’heure, face à une maladie qui tue des milliers d’enfants et défigure les survivants.

Le vaccin, grande cause nationale

Entre le 19e et le début du 20e siècle, la santé publique va en effet faire des progrès majeurs face à plusieurs maladies qui ravagent les populations : choléra, fièvre typhoïde, tuberculose, diphtérie… Et parmi elles, la variole aura un rôle décisif, en étant à l’origine du premier vaccin au monde.
C’est en 1796 (Louis Pasteur n’est pas encore né) qu’un médecin anglais du nom d’Edward Jenner découvre qu’il est possible de protéger les hommes de cette maladie extrêmement contagieuse en leur inoculant la variole de la vache (ou « vaccine »), beaucoup moins virulente pour l’homme. Le premier vaccin est né.

La vaccination gratuite contre la variole dans le grand hall du Petit Journal (journal daté du dimanche 20 août 1905) – Bibliothèques d’Université de Paris.

Jusqu’à son éradication (en 1979), la variole continuera d’alimenter la chronique. Le Courrier de Saône-et-Loire rapporte ainsi cinq cas dans la Lozère le 26 avril 1907 « dont l’aspect, six heures après le décès, était affreux à voir ». Le journal est alors on ne peut plus clair « Faites vous vacciner ».

Et déjà des antivax !

La variole a beau faire des millions de morts dans le monde (et pas des moindres, le roi Louis XV étant l’un des plus célèbres), avec le vaccin viennent déjà les anti-vaccins ! Dès 1799, les caricaturistes représentent les vaccinés avec des cornes ou un groin, par peur d’une supposée « minotaurisation » après avoir reçu la variole bovine.

Le Docteur Vaccinando préservant par sa nouvelle méthode Madame Ango des ravages de la petite vérole (Chez Bonneville Editeur – Paris – 1799) – Bibliothèque nationale de France.

Plus tard, ce n’est pas encore la 5G mais la République qu’on craint de se voir inoculer de force ! Face à un projet de loi (de gauche) envisageant de rendre la vaccination obligatoire sous peine d’amende, un correspondant parisien du Courrier de Saône-et-Loire (visiblement très à droite) estime que « la santé publique n’est qu’un prétexte très secondaire ».

Selon une rhétorique que les antivax modernes ne renieraient pas, il suggère que les républicains nourrissent un dessein secret qu’il résume ainsi « La France est rebelle à la République. Il n’y a qu’un moyen de l’amener malgré elle au culte de Marianne. Infusons lui du sang républicain ! ».
Et d’estimer que « par la vaccine obligatoire on nous infusera à tous le virus anti-monarchique, car je suppose que l’animal qui fournira le vaccin ne sera pas une vache, on prendra les pustules sur le bras d’un bon patriote ». Des arguments pas si éloignés que cela des théories du complot de l’ère Youtube…

On a beau être en 1880, dix ans après la fin du Second Empire, les bonapartistes sont prêts à tout pour bousculer la Troisième République ! Cela n’empêchera pas Louis Pasteur de trouver le premier vaccin curatif contre la rage en 1885, et de fonder l’Institut antirabique de Paris (futur Institut Pasteur) trois ans plus tard.

Portrait de Louis Pasteur par Albert Edelfelt (1885) – Musée d’Orsay / Article du Courrier de Saône-et-Loire du 26 mai 1880.

Au tournant du siècle, la recherche progresse vite, et l’un des élèves de Pasteur (mort en 1895), André Chantemesse, découvre le vaccin contre la fièvre typhoïde « vers lequel tendaient vainement quantité de savants de premier ordre », rapporte le Courrier de Saône-et-Loire du 14 novembre 1901. On ne tarie pas d’éloge sur ce sérum « merveilleux » dont « l’injection à un malade fait disparaître la fièvre typhoïde comme par enchantement ». En conclusion, le journaliste forme un vœu : « à quand le sérum contre la tuberculose ? » (spoiler, il faudra encore attendre 20 ans…).

Mobilisation générale pour la vaccination

Suivant l’exemple de l’Angleterre 50 ans plus tôt, la France rend obligatoire la vaccination antivariolique le 15 février 1902, à travers une loi fondatrice pour la santé publique. Sur le terrain, la mise en route est cependant timide. Au point que le préfet de Saône-et-Loire indique, le 18 avril 1905, que « les secrétaires de mairie doivent assister les médecins vaccinateurs pendant les séances de vaccination ».

En milieu rural, où les instituteurs assurent cette fonction, il leur est donc demandé de « prêter leur concours » aux soignants (ou l’ancêtre du « prêter main forte »). Leur mission consiste autant à organiser la séance de vaccination qu’à s’assurer de « la régularité des écritures » qui pourront « servir de base ultérieurement à la délivrance de certificats ». Le « passeport vert » de l’Union européenne n’a rien inventé.

Alors que la France entre en guerre le 11 août 1914, le gouvernement recommande, trois jours plus tard, d’intensifier la vaccination contre la variole et la fièvre typhoïde pour toute la population « et en particulier les soldats qui partent à la guerre ». D’ailleurs, le vaccin antityphique, « dont l’efficacité a été largement prouvée », a été rendu obligatoire dans l’armée : « ceux qui en profiteront auront ainsi la certitude d’éviter la maladie qui fera sans doute le plus de ravages dans l’armée ». Les balles et les obus ne seront, en effet, pas les seuls à faire des morts dans les tranchées.

La vaccination deviendra même un indicateur (presque fiable) pour les soldats. À la question « Quand finira la guerre ? », le Courrier de Saône-et-Loire publie, en septembre 1916, « le pronostic raisonné d’un soldat du front » :
« En novembre 1914, on nous a fait quatre injections de vaccin contre la typhoïde en nous disant : « En voilà pour deux ans ». Aujourd’hui on nous remet ça ; mais on nous fait seulement trois piqûres… J’en conclus qu’il y en a encore pour un an et demi ». Et dans les faits, il aura quasiment visé juste !

Dans les tranchées (1915) – Fonds Déléage, AD71 / Article du Courrier de Saône-et-Loire du 9 septembre 1916.

À Cluny, on vaccine à tour de bras

À partir de 1905, les journaux se sont écho régulièrement des campagnes de vaccination, que se soit pour les rappels de la variole ou pour la fièvre typhoïde.
Le 1er juillet 1913, l’Hôtel-de-Ville de Cluny accueille une séance de « vaccination gratuite pour les enfants de 1 an, ceux de 10 ans et les jeunes gens de 20 ans, et pour toutes les personnes qui voudraient se faire vacciner ou revacciner ».

Pour l’annonce de la séance du 27 juin 1923, on rappelle le caractère obligatoire de la vaccination anti-variolique : « Les personnes assujetties à la loi et qui ne présenteront pas leurs enfants à la séance devront déposer ce jour à la mairie un certificat déclarant que la vaccination ou la revaccination a été faite selon les règlements ».

Articles du Courrier de Saône-et-Loire du 23 juin 1923 et du 9 juin 1936.

Dans le même temps, le journal rapporte plusieurs arrestations pour « défaut de vaccination ». Celles-ci ciblent plus particulièrement les personnes voyageant à travers le pays, soupçonnées de propager les épidémies entre régions (vous avez dit « pass sanitaire » ?).
Ainsi, en septembre 1916 à Chalon, un musicien ambulant est condamné à 6 jours de prison. Un chanteur ambulant et un sans domicile fixe écoperont respectivement de 8 et 4 jours de prison le 7 janvier 1922 au tribunal de Charolles. Le 23 juin 1926 à Mâcon, une « nomade » est à son tour condamnée à 6 jours de prison et 50 francs d’amende « par défaut ». Manière aussi de rappeler à tout citoyen qu’il encoure des peines bien réelles à ne pas se faire vacciner…

Quelques années après la variole, on s’interroge sur la possibilité de rendre le vaccin contre la fièvre typhoïde obligatoire à son tour. À Paris, deux sénateurs ont en effet déposé une proposition de loi en ce sens en novembre 1926.

Quand une épidémie en chasse une autre…

Mais à la fin des années 1920, c’est une autre maladie infantile redoutable qui sévit dans le département : la diphtérie. Cette affection respiratoire très contagieuse (dite « croup »), qui provoque une toux aboyante pouvant conduire jusqu’à l’asphyxie, n’épargne pas Cluny. Deux fillettes meurent en février 1929, bien que « la municipalité avait pris soin de faire désinfecter tous les locaux scolaires » lors des vacances précédentes.

Pour tenter d’endiguer l’épidémie, on sort alors l’artillerie lourde : outre une nouvelle désinfection complète des écoles municipales « avec tout le soin désirable », « l’autorité supérieure vient de décider de faire vacciner tous les enfants des écoles de la ville contre la terrible maladie ». Le journal précise que « ces vaccinations n’auront lieu qu’avec l’autorisation écrite des parents ».
Annoncée le jeudi 7 février 1929, la première séance de vaccination a lieu dès le lundi 11, suivie d’un rappel le mardi 4 mars à 9h30 « pour les enfants de l’école maternelle » et le mercredi 5 mars à la même heure « dans les écoles de filles et garçons ».

Article du Courrier de Saône-et-Loire du 7 février 1929.

Une nouvelle séance de vaccination antidiphtérique prévue en novembre 1931 connaîtra un raté : annoncée pour le vendredi 13 (funeste présage), elle sera annulée la veille et « reportée à une date ultérieure qui sera fixée par voie de presse » (probablement le mardi 8 décembre 1931).

Cette vaccination contre la diphtérie se poursuivra ensuite pendant plusieurs années, et des séances seront régulièrement organisées dans les écoles de Cluny : mercredi 9 novembre 1932, mardi 19 décembre 1933, mardi 30 octobre 1934 (où il est précisé que « les personnes dont les enfants ne fréquentent pas les écoles publiques, peuvent les faire inscrire à la mairie »), mercredi 28 octobre 1936

Mais c’est un autre couac sur la vaccination en Europe qui fait écho, encore une fois, à l’actualité récente : le Courrier de Saône-et-Loire du 2 mai 1933 rapporte une inquiétude de Rome où, après avoir été vaccinés contre la diphtérie, « des enfants ont présenté des troubles plus ou moins graves, constitués en certains cas par des symptômes de paralysie post-diphtérique ». Le bilan est lourd : dix enfants sont morts.
La crise de confiance guette, mais les autorités sanitaires veillent : après enquête, on découvre qu’une « négligence coupable » dans la manipulation des vaccins est la cause de ces décès. La vaccination peut donc reprendre, après cette alerte qui a mis l’Europe en émoi.

Article du Courrier de Saône-et-Loire du 2 mai 1933.

Le vaccin contre la diphtérie (plus communément appelé DTP) est toujours recommandé en France.

La vaccination, mais pas que…

Consacrée par la loi de 1905, la santé publique ne passe pas que par la vaccination, mais aussi par la pédagogie. Créé en 1924, l’Office national d’hygiène sociale sillonne la France pour faire œuvre de prévention auprès des familles. Le conférencier voyageur est ainsi à Cluny en cette fin d’année 1929, où il présente des « projections lumineuses » à une centaine de personnes.
Le Courrier de Saône-et-Loire en rend compte dans son édition du 26 décembre : « L’auditoire s’est vivement intéressé à l’agréable causerie faite par le conférencier et aux différents films qui ont défilé sous ses yeux. Ces tentatives de diffusion des principes de propreté et d’hygiène méritent certainement d’être encouragées ».

Photo du théâtre de Cluny par Kenneth Conant – Ministère de la Culture / Article du Courrier de Saône-et-Loire du 26 décembre 1929.

Près d’un siècle plus tard, le message n’a pas changé : rappeler qu’il faut se laver les mains régulièrement, aérer la maison, ne pas éternuer sur son voisin, se faire vacciner pour soi et pour les autres… L’histoire est un éternel recommencement.

Commission américaine de préservation contre la tuberculose en France (1916) – Bibliothèque numérique de Rouen.

Photo de une : Infirmière vaccinant des enfants à l’école (photo by Erling MANDELMANN/Gamma-Rapho via Getty Images).

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