Exposition : la part visible de Mauthausen

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Du vendredi 18 au dimanche 27 octobre, les écuries de Saint-Hugues accueillent l’exposition nationale « La part visible des camps » qui montre pour la première fois des centaines de photos prises par les nazis dans le camp de concentration de Mauthausen. Un camp dont le nom reste gravé dans la mémoire locale, tous les Clunisois arrêtés lors de la rafle du 14 février 1944 y ayant été déportés.

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Mur de soutènement près des baraques des ateliers du camp de Mauthausen. En documentant la construction du camp, le photographe témoigne involontairement de la mort à Mauthausen : à l’arrière-plan, on distingue les cheminées fumantes des fours crématoires (entre 1942 et 1944 – Mariano Constante, archives privées).

C’est une exposition exceptionnelle qui s’est arrêtée pour quelques jours à Cluny. Avec « La part visible des camps – Les photographies du camp de concentration nazi de Mauthausen », c’est tout l’enfer du système concentrationnaire nazi qui est montré, grâce à quelques 500 photographies prises par les SS dans le camp de concentration de Mauthausen.
Créée par l’Amicale de Mauthausen à l’occasion des commémorations de la libération des camps en 2005, cette exposition présente pour la première fois un fonds exceptionnel de photographies prises par les SS dans le camp de Mauthausen, dissimulées et sauvegardées par des déportés espagnols. Cet acte de résistance, mené au péril de leur vie alors que les SS cherchaient à détruire toute trace de leurs archives avant la libération des camps par les Alliés, a permis à des centaines de négatifs originaux de parvenir jusqu’à nous.
Dispersés en Espagne, en France mais aussi aux Etats-Unis, ces clichés ont pu être réunis au prix d’un patient travail international à l’initiative du Comité international de Mauthausen, qui fédère les associations nationales de déportés et préserve leur mémoire.

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Détenus forcés de tailler des pierres près des ateliers du camp de Mauthausen (printemps 1942 – Erkennungsdienst, neg., Museu d’Història de Catalunya, Barcelone).

Implanté près Linz (région natale de Hitler) en Autriche suite au rattachement du pays au Reich en mars 1938, le camp de concentration de Mauthausen fut le centre d’un réseau d’une soixantaine de camps annexes dédiés à l’extermination par le travail. A la différence de la plupart des autres camps installés dans des casernes ou dans des enclos qu’il était aisé de faire disparaître, Mauthausen a été construit comme une forteresse de ganit destinée à être pérenne, qui surplombait un théâtre de mort : une impressionnante carrière et son escalier de 186 marches.

« A Mauthausen, furent conduits plus de deux cent mille hommes, et quelques milliers de femmes, en particulier à l’évacuation de Ravensbrück. Cent vingt mille d’entre eux y furent assassinés, par les conditions du travail forcé, les mauvais traitements, la logique d’extermination des inaptes au travail, des Juifs, de ceux qui avaient le malheur de servir de cibles. Dans la classification nazie, Mauthausen est le seul camp de 3e catégorie, la plus dure, et destiné aux « irrécupérables » « , présente Daniel Simon, membre du comité de l’Amicale française de Mauthausen à l’origine de cette exposition.

Au sujet de l’exposition, il poursuit :

« Les SS ont beaucoup photographié : fichage bureaucratique des détenus, exaltation du modèle disciplinaire et hygiéniste, « tentatives d’évasion », etc. Les dernières semaines de leur domination, ils ont détruit en masse toute sorte d’archives. Mais à Mauthausen, une aventure sans équivalent a permis que des centaines de négatifs originaux d’images nazies parviennent jusqu’à nous : des détenus espagnols, dans les rouages de l’administration du camp et au laboratoire photographique, les ont dérobés, camouflés, sortis du camp, confiés à une habitante du village, récupérés à la libération et, la plupart, rapportés en France – affirmant un double improbable espoir : après la victoire contre les nazis, que ces clichés soient un jour entre nos mains un témoignage !
Cette exposition, pour la première fois, présente l’ensemble des fonds d’images existants : clichés SS, photos prises, sur les mêmes appareils, par les détenus libérés (les Espagnols du labo photo), enfin celles prises par les libérateurs américains […]. »

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Soldat américain photographiant des cadavres entassés dans le « camp russe » à Mauthausen (5-15 mai 1945 – photographe inconnu, pos., United States Holocaust Memorial Museum, Washington).

« Ces photographies n’autorisent aucun regard innocent. L’image n’est pas la réalité objective. Impossible de se bercer de l’illusion paresseuse qui confère à l’image une valeur documentaire naturelle et absolue, pire : objective. Chacune de ces photos doit être précisément contextualisée – en particulier, aucune ne saurait être regardée sans souci de l’identité et de l’intention du photographe. Pour aller brièvement au plus important : il va de soi que l’oeil du SS ne voit pas tout, que l’image qu’il fixe masque plus qu’elle ne montre, qu’elle est d’essence négationniste. Aussi eût-il été impossible et dangereux de se complaire dans l’affichage et l’impact de l’image brute.
Ces quelques cinq cents photographies témoignent, certes, mais par le truchement d’un travail scientifique de deux années, conduit dans les trois pays partenaires, qui a construit un savoir incontestable et propose les éléments d’un message raisonné. Fragments d’histoire et de mémoires du camp, histoire et pouvoir de l’image, dans le rapport de celle-ci avec les mots de l’historien et ceux du rescapé-témoin : le parcours de l’exposition est un travail, et l’appareil textuel accompagnant les photographies ne saurait être éludé. »

A l’occasion de l’accueil de cette exposition en juin 2006, le Grand-Duché de Luxembourg a édité un « Carnet de notes » pédagogique présentant l’exposition, son contexte (en français), ainsi que plusieurs témoignages (en allemand pour la plupart).

Traduite en trois langues, installée dans le centre d’accueil des visiteurs du camp de Mauthausen en Autriche, et circulant dans différents pays d’Europe depuis 2005, cette exposition en tout point exceptionnelle fera donc halte à Cluny, pour un temps de mémoire et d’hommage aux milliers de victimes de la barbarie du camp de Mauthausen.

L’exposition sera ouverte tous les jours jusqu’au dimanche 27 octobre, de 10h à 19h, aux écuries de Saint-Hugues à Cluny. Son inauguration publique aura lieu ce soir, vendredi 18 octobre à 18h.