Rencontre avec l’auteur du #MadeleineProject

On a rencontré Clara Beaudou lors de son passage à Sans décoder ?!, le festival des cultures numériques organisé à Dompierre-les-Ormes.

Clara Beaudou est journaliste, spécialisée dans les nouvelles écritures. De son passage à FranceInfo, on avait notamment retenu son excellent reportage « Mon veau s’appelle hashtag », un webdocumentaire où l’on faisait la connaissance d’Hervé, « 56 ans, 140 bêtes, 2032 followers » ou de Patricia, « 41 ans, 114 bêtes, 3471 likes ».

Cette fois-ci, c’est de Madeleine qu’elle nous parle, du fond de la cave n°16 de son immeuble. « Elle a laissé dans cette cave un scénario parfait », s’enthousiasme Clara Beaudou, deux ans et cinq « saisons » du MadeleineProject plus tard. Cette illustre inconnue s’appelait donc Madeleine, était institutrice, collectionnait les trèfles à 4 feuilles, avait un amoureux qui s’appelait Loulou, mort sur le front en novembre 1943…

« Voilà plus de deux ans que je veux raconter cette histoire »…

Quand tout commence, Clara Beaudou est en pleine reconversation professionnelle : elle quitte RadioFrance pour se conscacrer au documentaire, et en profite pour déménager vers un nouvel appartement. L’ancienne locataire, une certaine « Madeleine », y a vécu les vingt dernières années de sa vie. Le propriétaire a fait refaire l’appartement, mais a oublié de vider la cave, la faute à un cadenas récalcitrant. Avec son accord, Clara Beaudou fait sauter le verrou, et découvre alors dans l’univers de la veille dame, à travers ses cartons et objets en tout genre.

« Ce projet, je ne le qualifie pas, je le qualifie mal, indique l’auteur. Tout est vrai, rien n’est romancé. Ça aurait pu être une biographie, mais ça aurait été chiant ». Au fur et à mesure que Clara Beaudou explore sa cave, elle partage ses découvertes sur Twitter. Presque en direct tout d’abord (« presque », parce que le réseau ne passe pas dans la cave, et qu’il lui faut remonter dans son appartement pour tweeter le lendemain ses découvertes de la veille). Très vite, les internautes se passionnent pour son récit. Qu’y-a-t-il donc dans cette cave ? L’espoir de découvrir un Picasso ? Non, rien que de très banal : des bibelots, des souvenirs, « mais c’était beau, c’était émouvant », se remémore l’auteur.

La contrainte pousse à la créativité (Baudelaire)

Le hastag  #MadeleineProject est né, et sa communauté avec. « Ce qui est super avec Twitter c’est l’interaction avec les internautes », comme mettre un nom sur un objet non identifié (un briquet de poilu de la première guerre mondiale, par exemple), ou découvrir que « Martial », également décédé sur le front n’était pas son frère mais son cousin, grâce à l’aide de généalogistes amateurs. « Les internautes font partie du projet », insiste Clara Beaudou. Certains se sont même lancés en cuisine grâce aux carnets de recettes de Madeleine, faisant revivre la veille dame grâce à ses petits plats.

Une photo, une phrase, 140 caractères maximum : l’interaction avec les internautes a aussi ses contraintes. Mais pas question pour Clara Beaudou de concevoir ce projet autrement. Elle fait sienne la maxime de Charles Baudelaire « La contrainte pousse à la créativité ».

Quelques mois plus tard, Clara Beaudou retourne dans sa cave. Pour éponger une mauvaise fuite d’eau, qui heureusement a épargné les affaires de Madeleine, et pour peaufiner une nouvelle « saison » à partager avec ses followers (soit une semaine sur Twitter, du lundi au vendredi, 2h par jour). À partir des souvenirs amassés dans les cartons, elle « sort de la cave », à la rencontre de ses voisins qui ont connu Madeleine, et va même jusqu’en Hollande, à la recherche de ses correspondants d’échanges scolaires.

Le projet devient plus participatif que jamais : « Une classe de CM2 d’une école primaire d’Aubervilliers est partie à la recherche des anciens élèves de Madeleine, en écumant les maisons de retraite, les pharmacies… » s’étonne encore Clara Beaudou. De 2015 à 2017, cinq saisons passionneront des milliers d’internautes.

Un livre 2.0

Pour garder une trace de ce projet numérique, les éditions du sous-sol (ça ne s’invente pas !) proposent à Clara Beaudou d’éditer un ouvrage sur le MadeleineProject. L’auteur accepte, à condition d’imprimer directement les tweets, tels quels, pour aller au bout de l’expérience.  Les souvenirs que Madeleine a entassés dans sa cave, après avoir fait le tour du monde sur un support numérique très volatil, se rematérialisent grâce au papier. Paradoxal ?

Pour Clara Beaudou, il s’agit aussi de « partager cette histoire au-delà des réseaux sociaux » (tous les tweets sont restés en ligne, en libre consultation), et d’offrir « une nouvelle lecture » à ceux qui auraient suivi la série sur Twitter, car on ne lit pas un livre comme on consulte un fil d’actualité.

Et maintenant, quoi faire de tout cela ? Clara Beaudou a rendu quelques objets et photos au seul héritier de Madeleine, son filleul, qui a suivi avec bienveillance toute cette aventure numérique. Mais l’essentiel est encore dans la cave, à l’abri des regards. La discrète Madeleine peut encore garder quelques secrets.