Cluny 1120 : le grand portail se dévoile

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L’exposition « Cluny 1120, au seuil de la Major Ecclesia » s’est ouverte ce mercredi 28 mars au musée national du Moyen Âge – musée de Cluny, à Paris (voir notre article de mardi).

Présentant un état d’avancement des recherches des archéologues sur le grand portail de l’église abbatiale Cluny III, cette exposition intégrera en partie les collections permanentes du musée d’art et d’archéologie de Cluny – musée Ochier, dès cet été.

Cinq dates pourraient presque résumer l’histoire de ce grand portail de Cluny III. Les années 1120 tout d’abord, lors desquelles il a été conçu et réalisé par les maîtres artisans œuvrant sur le chantier de l’abbaye de Cluny.

Monumental, le portail de la nef de l’église abbatiale été conçu comme un arc de triomphe à la romaine. Il a constitué une prouesse technique pour l’époque, avec ses 20 mètres de hauteur et son tympan sculpté d’un seul bloc de 23 tonnes extrait des carrières des Cras, au nord de Cluny, d’où il a été roulé sur des rondins de bois jusqu’à l’abbaye.

Entièrement coloré, parfois avec des matériaux précieux comme l’or ou le lapis-lazuli, ce grand portail était fait pour impressionner le visiteur. On dénombrait 23 personnages sur le linteau, lui aussi constitué d’un seul bloc, dont les apôtres et plusieurs autres personnages.
Construit plus tard, le narthex (ou avant-nef) de l’église abbatiale est venu enchâsser le grand portail, comme pour le protéger. C’est sous celui-ci que l’abbé attendait ses prestigieux hôtes de marque venus lui rendre visite, tout un symbole.

Une autre date fatidique est celle du 8 mai 1810, date à laquelle les démolisseurs ont fait parler la poudre pour détruire le grand portail, à une époque où l’art médiéval n’avait que peu de valeur.
Trop gros, trop lourds, les blocs ont été réduits en milliers de petits morceaux afin d’être revendus comme matériaux de construction. La charge explosive avait été placée juste derrière la représentation du Christ en majesté, au centre du tympan, ce qui explique la très grande fragmentation de cette partie du portail.

Certains blocs ont également été réutilisées comme porte-bonheur sur les murs des maisons, et les plus belles pièces ont été revendues sur le marché de l’art. Cela a notamment été le cas de deux sculptures présentées lors de cette exposition au musée de Cluny : un « Saint-Pierre » qui se trouve aujourd’hui au musée de Providence aux Etats-Unis et un « aigle de Saint-Jean l’évangéliste » actuellement au musée du Louvre.

Il faut attendre le 29 juin 1928, quand l’archéologue américain Kenneth John Conant donne le premier coup de pioche des fouilles de l’abbaye de Cluny, pour redécouvrir le grand portail.
Le chercheur procède par sondages et extrait du sol des milliers de petits fragments. Déjà, il ambitionne de reconstituer ce puzzle archéologique, en s’appuyant sur les rares gravures (malheureusement peu nombreuses et imprécises) représentant le portail de l’église. Dans une salle de l’hôtel de Bourgogne où il réside au pied des fouilles, il dépose au sol une immense bâche de tissu noir, sur laquelle il trace les contours du dessin à la craie blanche pour y positionner les fragments qu’il retrouve. Son ambition se heurte de fait au trop grand éparpillement des fragments, et à la faiblesse des sources lui permettant de reconstituer le dessin avec précision.

Il documente toutefois de nombreuses sculptures de manière très précise sur ses carnets, comme il le fait pour l’ensemble des fouilles qu’il conduira à Cluny pendant une trentaine d’années.

D’autres fragments sont retrouvés bien plus tard, lors de l’hiver 1988-1989, alors que Cluny célèbre le millénaire de Cluny III (dont la première pierre a été posée en l’an 1088). De nouvelles fouilles sont entreprises à l’emplacement du narthex pour y aménager l’espace actuel, là où il n’existait auparavant qu’une rue constituée des remblais de l’avant-nef. Ces fragments sont, tout comme ceux extraits par K. J. Conant 60 ans plus tôt, entassés dans des caisses conservées dans les réserves du musée Ochier. Un certain nombre de chercheurs reprend alors le travail de l’archéologue américain, et s’intéresse à ce grand portail de l’église abbatiale.

Et il a donc fallu attendre ce printemps 2012 pour enfin réaliser l’avancement de leurs travaux. La restitution proposée au musée national du Moyen Âge propose la première reconstitution monumentale du grand portail.
Grâce à une structure autoportante en aluminium de huit mètres de haut, représentant à l’échelle 1 une portion du grand portail tel qu’il existait, il est possible aujourd’hui d’avoir une représentation plus juste de la monumentalité de cette construction. Les principaux fragments y ont été replacés, donnant une ébauche du décor tel que les visiteurs du XIIe siècle pouvaient l’apprécier.

Les plus belles pièces, ou celles qui ne pouvaient pas prendre place dans la structure, sont également présentées au visiteur.
Enfin, un film de 3D inédit, conçu par le laboratoire d’imagerie numérique de l’ENSAM de Cluny et la société chalonnaise on-situ, permet de s’immerger dans l’atmosphère de ce lieu, et d’en apprendre un peu plus sur les sculptures représentées sur le grand portail de Cluny III.

Fruit d’une première collaboration entre le musée national du Moyen Âge de Paris et le musée d’art et d’archéologie de Cluny, et avec l’appui d’entreprises Clunisoises (la fonderie Abotech de Trambly pour la structure, le tailleur de pierre Philippe Griot pour le soclage des sculptures), cette exposition utilise de nombreuses pièces des collections municipales de Cluny ainsi qu’une partie du « fonds Conant », également conservé au musée Ochier. Ces pièces reviendront à Cluny cet été après leur présentation à Paris.

Surtout, la structure monumentale en aluminium du grand portail sera remontée dans une salle spécialement dédiée du musée municipal, et intégrera ainsi de manière permanente les collections.

A l’occasion du vernissage de cette exposition, clunisois.fr a rencontré Damien Berné, commissaire de l’exposition et conservateur au musée de Cluny.

 

L’exposition « Cluny 1120, au seuil de la Major Ecclesia » est visible au musée national du Moyen Âge à Paris jusqu’au 2 juillet, tous les jours sauf le mardi (fermeture le 1er mai).

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